Goodbye Mister Lou

On ose à peine y croire. Quand on apprend la nouvelle par hasard, dans un flux incessant d’informations insensées, erronées, transformées, tweetées… Mais comme il le scandait si bien « It’s a beginning of a new age »… Pas tout à fait le même pour nous. Un peu moins planant. Un peu moins excitant. Un peu moins passionnant.

Lou Reed nous a quitté dimanche. 71 ans le vieux bougre du rock’n’roll. On imaginait pas ça possible. Après tout ce qu’il avait infligé à son corps, de souffrance, d’accoutumance, de rock’n roll. Après tout ce qu’il avait offert au monde, avec nonchalance et une certaine forme de génie. Des albums cultes, gracieux, glauques, violents, inimitables, intouchables. On ne pourra jamais lui rendre tout ça. On ne pourra jamais lui rendre un hommage à la hauteur de l’influence qu’il continue d’exercer encore et toujours sur le petit monde du rock’n roll, sur des millions de gens traumatisés à vie.

Lou était un poète immense. Il écrivait des chansons comme des romans, remplies de mots habiles, d’une plume acerbe et insolente à la hauteur de ses modèles de la beat generatiion, ces bons vieux Burroughs, Ginsberg et Kerouac. Il était même allé plus loin. En les faisant cohabiter avec le beat déglingué du rock’n roll. Il avait inventé une nouvelle forme de pop music. Intellectuelle, dérangeante, cultivée. Il nous a baladé sans ménagement dans les tréfonds du New York des 60’s, à la rencontre de putes, de drag queens, de camés, de désespérés. Il nous a fait rêver. Il nous a fait planer.

Lou Reed a changé ma vie. Je me souviendrais toujours du premier soir où j’ai posé le premier Velvet dans ma platine. On achetait de vrais disques à cette époque, on sniffait la pochette en arrivant chez soi, on la reluquait sous tous les angles comme si elle cachait encore un précieux secret. Ce disque à la banane. Comme des milliers de gens avant moi. Je l’ai écouté toute la nuit. Encore et encore. Pour tenter de percer son secret. Pour me sentir transportée par ce son hurlant, ces pop songs déséquilibrées, ces histoires de fous, d’amour, de sexe et de perversion. Ces chansons délicates et précieuses d’une simplicité déconcertante, que personne n’avait jamais osé écrire auparavant. Je ne me suis jamais vraiment remise de ce voyage. Je devais avoir 17 ou 18 ans et tout ce que j’ai tenté de mettre en scène, écrire, chanter, piller, a été totalement, complètement et sans ménagement inspiré par cet album miraculeux. Je n’ai jamais au grand jamais pu m’en détacher. Lou et son oeuvre sont restés gravé dans mon inconscient.

D’Andy Warhol à Transformer, de New York à Berlin, j’ai tout avalé. Tout digéré. J’ai pleuré comme une gamine en écoutant l’histoire de Caroline, Candy, Nico et les autres. Tous ces incroyables personnages de femmes fatales déchues, de Marilyn Monroe transexuel et camée que plus personne ne pourra sauver. Ces contes de fées diaboliques, enchantés par la voix nonchalante de Mister Lou. Coolitude assumée, soupoudré d’une bonne d’ose d’ironie.

Voilà c’est mythique. Et personne ne pourra jamais rien changer à ça. Lou Reed est toujours là. Imprenable. Intouchable. Et même si on a pas toujours suivi ses errances au pays de la musique contemporaine, si on trouve carrément inécoutable certaines de ses collaborations hasardeuses, on ne peut pas lui reprocher son goût du risque et de l’expérimentation.

Alors voilà, j’avais 13 ans le jour du décès de Kurt Cobain, j’ai 32 ans le jour de la mort du vieux Lou. Génération maudite qui n’a le droit décidément à rien si ce n’est voir s’éteindre les uns après les autres les dieux du rock’n roll sans avoir la chance d’en goûter un morceau (de live). Pire que ça, quand on se décide à raquer quelques euros pour applaudir certaines idoles encore debout, on se retrouve, gênés devant des papys pathétiques, immobiles et croulants, ou des réformations douteuses, dont la bonne moitié des membres fondateurs sont en fait décédés depuis des lustres. Bref ça sent le roussi pour nous. Et c’est pas prêt de s’arranger.

Reste heureusement les disques. Intactes (mais apparemment plus pour longtemps), qu’on ne se lassera jamais de faire tourner afin d’apaiser un peu notre peine, notre joie, nos obsessions.

Une oeuvre. Belle. Majesteuse. Imprudente. Voilà ce qu’a laissé le vieux Lou. On ne le remerciera jamais assez pour ça. On ne trouvera jamais vraiment les mots pour ça. On ne versera jamais assez de larmes pour ça. Pourtant, on ne se connaissait pas… C’est drôle la vie parfois.

Thank you, Thank you Mister Lou.

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