Chelsea Wolfe, « Abyss »

Une rythmique lourde et inquiétante, des brouillards de guitares fuzz salement métalliques. Au dessus de toute cette confusion, plane la voix magique et spectrale de Chelsea Wolfe, ange immaculée ou sorcière maléfique selon l’humeur. Entre folk décharné, indus dévastateur et influence doom, “Abyss”, cinquième album de l’artiste californienne est un objet glacial et captivant, qui nous plonge dans un univers terrifiant au milieu des rêves et des cauchemars d’une prêtresse désincarnée. Un peu comme si Mazzy Star flirtait avec Trent Reznor, on est captivé par la puissance évocatrice et la poésie diabolique de ce disque d’ambiance particulièrement réussi. C’est finalement assez rare ces jours-ci de rencontrer des disques d’une telle intensité émotionnelle, d’une telle profondeur (l’heure étant plutôt à la légèreté ou au second degré).

Pas forcément facile d’accès au premier abord, la belle lançant direct les hostilités avec un son d’une froideur métallique (“Carrion Flowers”, “Iron Moon”), le plongeon dans les abysses s’avèrent par la suite fatal et fascinant si l’on prend la peine d’accepter de se laisser dérouter puis dévaster par des morceaux maléfiques. On découvre alors, au détour du chemin (ou du labyrinthe) de cette Alice In Wonderland déjantée, des petits bijous de dark folk au bord du gouffre (“Crazy Love” et son refrain diabolique, “Simple Death” joli à pleurer ou “Maw”, comptine crépusculaire).

Fantômatique à souhait, “Abyss” évoque évidement les belles heures du label 4AD, pour la dream pop et ses dames enchantées (Liz Fraser, Lisa Gerrard, Kendra Smith…) mais sans jamais tomber dans la pâle copie ou la caricature. En effet, la production a réalisé ici un vrai travail d’orfèvre, qui sert d’écrin à la voix subliminale de Chelsea Wolfe, en jouant à fond sur la distorsion, les ambiances sales, le malaise, les machines et les hommes. Exercice dangereux certes, sur lequel plus d’un se sont cassé les dents. Car on aurait pu facilement tomber dans la grandiloquence voire le grand guignol (Bjork, Marilyn Manson au hasard…), mais bien au dessous du lot, Chelsea Wolfe incarne ici son propos avec une grande intelligence et une infinie délicatesse. Et malgré quelques longueurs (55 minutes de darkness tout de même, ça peut paraître un peu long pour nos coeurs fragiles), le disque tient la route, sinueuse et incandescente, témoin des tourments blêmes de son auteur.

Un disque de nuit, à ne pas mettre entre toutes les mains, et à classer entre “Downward Spiral” de Nine Inch Nails et la BO de Lost Highway

En concert le 18 novembre à La Maroquinerie à Paris et le 19 novembre aux Trinitaires à Metz.

Chelsea Wolfe, « Abyss », © Sargent House 2015

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