Interview des Cute Kitten Eaters, industrial shock from Rennes


Mariant avec brio la froideur des machines, façon indus, et la rage du grunge, les quatre rennais de Cute Kitten Eaters, l’un de mes grands coups de coeur de ces derniers mois, ont sorti un premier Ep « DoublePlusGood is Slavery », dont je vous ai déjà parlé dans ce blog. Je vous propose aujourd’hui d’en savoir un peu plus sur cet excellent groupe à travers ma petite interview. On y découvre Eosine (chant), Thomas (basse) et Mickaël (guitare), trois personnalités intenses et cultivées, qui font la richesse du son Cute Kitten Eaters. Ils me parlent de leurs débuts, de la création, d’Orwell, du grunge, de l’état du rock actuel et de plein d’autres choses…

Parlez moi un peu des débuts de Cute Kitten Eaters, comment a démarré le projet?

Eosine (chant) : On a mis du temps avant de lancer le groupe alors que nous avions des envies communes en matière de musique.Thomas était préoccupé par son avenir professionnel et de mon côté je débutais en tant que chanteuse/auteur dans un groupe de rock qui n’a d’ailleurs pas duré longtemps. Je pense que ça l’a motivé, lui qui a longtemps joué comme bassiste dans des groupes plutôt trash à Orléans. Il a tenté de monter un groupe mais ça a été très bref. Et puis il a commencé à gratter des mélodies. De bassiste il est passé à compositeur, avec une certaine facilité je trouve. Je chantais des petits textes sur ses musique et on s’enregistrait avec un micro pourri sans passer par des logiciels. A un moment on a compris qu’on était prêts.

Comment vous êtes-vous rencontré?

Eosine: Thomas et moi nous nous sommes rencontrés à la fac de Rennes en 2003. Nous suivions les mêmes cours mais nous ne nous étions jamais croisés. Je l’ai remarqué à la B.U et quelques jours plus tard j’ai craqué je l’ai invité à manger avec moi . Depuis nous ne nous sommes pas quittés.

A l’écoute de « Doubleplusgood is slavery » on reconnait bien sûr l’influence de Nine Inch Nails (on doit vous en parler souvent) mais quels sont vos autres influences? (musicales, littéraires, etc, car votre musique est très cultivée, elle ne s’arrête pas simplement à la frontière du son, elle évoque plein de choses…)

Thomas (basse): il y a plein de choses qui ont une influence sur moi, donc sur ma manière de composer. Les rencontres humaines, l’art en général. Au niveau musical, outre Nine Inch Nails, je peux citer Ministry (période The mind is a terrible thing to taste), Skinny Puppy, Killing Joke, Depeche Mode (Violator), Dead Can Dance… Des auteurs comme William Burroughs, Philip K. Dick ou Ballard ont aussi eu un fort impact sur ma vision des choses. Je suis extrêmement curieux à propos de la vie des artistes, de ce qui les pousse à créer, je lis des autobiographies…

Eosine: Je dois dire que je ne prend plus beaucoup de temps pour lire avec les cours que je suis, mais j’ai été nourri par les romans de Stephen King et entre Des fleurs pour Algernon de Keyes et les écrits sur l’art brut, il y a une place énorme pour 1984 d’ Orwell. Le titre Winston ainsi que le tire de l’EP font directement référence à ce roman incroyable. Il a l’air d’être écrit pour nous, rien que pour nous, et en même temps sa portée est humaine. Pas besoin de faire de la politique pour l’apprécier à sa juste valeur, même si évidemment, c’est une critique contre l’état totalitaire. De par mes études de psycho, je m’intéresse beaucoup aux théories psychanalytiques de Freud et Lacan, parce qu’elles coïncident avec mes préoccupations personnelles. A l’heure actuelle, je serai davantage inspirée par les films que par les livres. Je raffole de science fiction (les premiers Carpenter mais aussi les Fils de l’homme et District 9). J’apprécie les petits bijoux comme Morse, Le labyrinthe de Pan ou la série Jekyll. Musicalement, depuis que j’ai vu Jaz Coleman en concert, il est devenu ma référence en terme de maîtrise vocale et de présence. Killing Joke est un groupe de génie. Après, bien sûr, je citerai Nine Inch Nails, Hole, Babes in Toyland, Depeche Mode, Bjork (les trois premiers albums) et Noir Désir avant l’album 666.7. Il y en aurait tant d’autres à citer.

Eosine, comment es-tu venu au rock? Qu’est -ce qui t’a attiré dans cette culture? Que représente-t-elle pour toi?

Mes parents n’écoutaient pas la variété française. Quand j’était petite le rock c’était Elvis et la chanson française William Sheller ou Julien Clerc. Très vite je me suis plongée dans la musique de Depeche Mode, au moment de « Violator » qui a éveillé pas mal de désir! Plus que le rock ce sont les sonorités étranges, l’ambiguité entre le synthétique et le charnel, la mollesse de la tristesse et le dynamisme de la rage qui m’ont amené à la musique. Et puis j’ai découvert Noir Désir grâce à Tostaky même si j’avais déjà en mémoire « Aux sombres héros de la mer ». Le Live Dies Irae m’a bouleversé et Cantat est resté trés longtemps une référence et une sorte d’alter ego imaginaire. Trent Reznor a débarqué dans mon univers comme pour unifier cette froideur de la machine et la révolte. C’était à un moment où mon existence ne rimait qu’avec empêchement, désir et rage.
Je n’ai jamais pensé chanter dans un groupe de rock. J’écrivais beaucoup sur les morceaux qui me parlaient mais sans les chanter parce que je n’en avais pas besoin et que je préférais me perdre dans toutes ces voix. J’ai fini mon adolescence et commencé l’âge adulte véritablement emprisonnée. Quand il n’y a plus rien à formuler, que le physique est écrasé, le chant vient presque naturellement comme une plainte qui libère. Un peu par hasard j’ai pu chanter devant des gens et cela m’a fait tant de bien que je me suis dite « quand je pourrais, je chercherai un groupe et je chanterais mes textes ». Le rock était une évidence.

Eosine,parle moi un peu de tes textes? Quels sont les sujets que tu évoques?

Je ne sais pas trop quoi dire de mes textes.je raconte d’abord ce qui me passe par la tête mais j’aimerais que chacun puisse y trouver quelque chose qui lui soit personnel. Je ne cherche pas à délivrer un message particulier, je risquerai de trouver ça malhonnête à la longue. Refaire100 fois la même chanson sous prétexte d’exprimer ses opinion politiques ou enfiler un costume d’héroïne à travers des textes, ce n’est pas pour moi. Je m’inspire davantage de rêves ou de cauchemars, de mes doutes et mes coups de coeur.
Ecrire en anglais est plus facile parce que ce n’est pas ma langue maternelle. Je ne parle pas de mes problèmes de prononciation ou de grammaire :) Je veux dire que l’anglais créée une forme de distance qui me permet souvent d’être plus directe, plus crue ou plus « stupide »! D’un autre côté, cette distance me pousse à continuer à écrire car une fois un texte posé, je n’y suis déjà plus. C’est une page qui se tourne. En concert je reviens dessus volontier mais il faut regarder devant, toujours. On peut dire les mêmes choses sans cesse, mais c’est important de trouver des formes différentes. Nous nous efforçons de ne pas nous plagier.
Mes textes ne sont pas spécialement optimistes ni plein de joie. J’aime la mélancolie même sur une musique très rythmée. En fait, les chansons, lorsqu’elles me plaisent, me teintent souvent de nostalgie ou ….d’agressivité. Entre tristesse et excitation, j’oscille. Les thèmes qui reviennent ch
ez moi sont finalement l’insatisfaction et la difficulté d’être soi.


Dis moi Eosine,qu’est-ce que ça fait d’être une fille toute seule, dans un groupe de mecs?

ça ne me pose pas de problème parce qu’il n’y a pas d’ambiguité et de jeu de séduction qui viendrait parasiter la vie du groupe. Aprés c’est vrai que je préfère être la seule fille pour garder cette place à part et éviter le piège de la jalousie et de la compétition. Ceci dit n’avoir en face que des mecs n’empêche pas du tout la rivalité et le conflit. Si je devais avoir à subir des attitudes machistes, je ne le supporterais pas longtemps. J’estime que chacun à des opinions et des qualités à prendre en considération. Ce n’est sûrement pas celui qui s’exprime le plus fort ou de plus haut qui a le plus de droit. 


Comment se passe la création au sein de votre groupe?

Thomas: Je compose les démos des titres sur ordinateur. Tout part en général d’une idée basique, un son, un rythme, quelques notes. Quand je tiens un truc, je le fais écouter à Eosine. qui pose sa voix, souvent en yaourt.

Eosine: Oui, je ne cherche pas tout de suite à avoir un texte parce que c’est la spontanéité de l’émotion qui me permet de trouver des lignes de chant. Aprés, je fais coincider le rythme des mots avec le rythme premier de la version yaourt. En fait pour composer mes partie j’ai besoin de solitude pour tenter un peu tout et n’importe quoi, faire moi-même le tri et « accepter » ce que je produit avant de le proposer aux autres.

Thomas: Une fois qu’on a un morceau structuré, avec les voix et les paroles, on envoie la version à Mikaël et à Seb, et on tente de la jouer ensemble en répétition. C’est là que le travail devient collectif. Je ne suis pas très doué à la guitare, Mikaël apporte sa touche à la compo, tout comme Seb apporte l’énergie au titre. C’est un travail plus réaliste également, la musique n’est plus jouée par un ordinateur…

Mikaël (guitare): L’idée, pour ma part, est de ne pas détériorer le morceau. Chez les Cute, le talent de composition est dans les doigts de Thomas, pas dans les miens. J’essaie juste d’apporter ma touche personnelle en y intégrant mon son, mon groove, ma façon de jouer… et éventuellement un riff ou deux si ça sert le morceau.

Qui compose les morceaux?

Thomas: je compose la musique, Eosine les voix, les textes. Mais il ne faut pas négliger le travail d’arrangement, dans lequel tout le groupe s’investit.

D’où vient le nom du groupe?
Eosine: au début on avait pensé à Gared, qui se trouve être l’anagramme du nom d’un de nos chats…ça sonnait bien (rires).
Thomas: c’est toi qui a trouvé le nom du groupe.

Eosine: tu avais trouvé des noms qui faisaient très médicaux, « vade mecum », « Euthanasia » ou « millésime »(fous rires).
Thomas: peut -être pas quand même…

Eosine: t’étais pas très chaud au début pour Cute Kitten Eaters.

Thomas: je trouvais l’idée du chaton un peu gnangnan. Mais avec le temps, j’ai trouvé que ça sonnait plutôt pas mal. Et puis ça m’amuse de devoir répéter le nom à chaque fois que je le prononce à quelqu’un.

Mikaël: Il m’a fallu deux semaines pour le prononcer avec tous les mots dans le bon ordre…

Que signifie-t-il pour vous?

Eosine: ce qui est intéressant dans ce nom pour un français, c’est qu’on sait pas si c’est le chaton qui dévore ou si c’est le chaton qui est dévoré. Il y a le côté à la fois mignon du chaton et le côté destructeur de l’appétit. Mais le sens reste secondaire à l’usage, ça sonne bien.
Thomas: pour moi, je ne donne pas trop de sens à ce nom à vrai dire, c’est vraiment la dimension sonore, sa prononciation qui me plaît.

Vous êtes de Rennes, j’aimerais savoir s’il existe encore une « scène » rock en Bretagne, comme ça a été le cas dans les années 80 et 90 avec l’émergence de pas mal de groupes bretons qui ont explosé sur la scène nationale?

Thomas: je suis arrivé sur Rennes en 2000, je n’ai pas eu vraiment cette sensation d’être dans un lieu carrefour du rock. Je pense que je suis arrivé un peu à la bourre… Mais ça reste dans les esprits, cette idée que Rennes est une ville importante d’un point de vue musical. Actuellement, je dirai qu’il n’y a pas de scène à proprement parler, il y a pleins de groupes qui se croisent, qui font leur truc de leur côté.

Eosine: peut-être que du côté de l’électro on pourrait parler d’une scène rennaise…

Mikaël: Je suis né à Rennes il y a presque 30 ans. J’ai grandi avec les Transmusicales à 2 minutes de chez moi. Je me souviens des dizaines de bars en trans où l’on pouvait voir des tas de groupes plus ou moins connus. Sur ce point, ça a beaucoup changé. Quand j’ai commencé la musique en groupe (1997), Rennes comptait une vingtaine de bars où l’on pouvait jouer. Maintenant, ils se comptent sur les doigts d’une main. Pour ce qui est de la scène Rennaise, il y a toujours eu des groupes surfant sur la mode musicale du moment. En ce moment, l’heure est au rock sixties à consonances « Brit pop » slim et mèche indispensables… Là aussi il y a des groupes rennais, mais c’est pas mon trip.

Est-ce facile de trouver des dates?

Thomas: sans avoir à se plaindre, je trouve que c’est de plus en plus dur. C’est surtout galère pour les petits groupes qui cherchent une première expérience. Les bars sont de plus en plus sélectifs.
Eosine: et surtout, ils ont de plus en plus de difficulté à faire jouer des groupes autres que de folk et de blues à cause du bruit et d’éventuelles plaintes du voisinage.
Mikaël: Tout s’est énormément compliqué depuis 10 ans.

Y a-il beaucoup de salles qui accueillent ou programment des groupes de rock?

Thomas: Sur Rennes, on a deux ou trois cafés concerts comme le Mondo Bizarro, le Barock, une poignée de bars, deux ou trois « grosses » salles, La Cité, l’Antipode, l’Ubu, le 4bis.


Y a t-il des structures qui aident les groupes en développement?

Eosine: Honnêtement je ne sais pas quoi répondre, je suis assez mal renseignée. Le 4 bis permet à des groupes rennais de jouer sur une vraie scène.
Mikaël: Le Jardin Moderne reste la référence. Il y a aussi certaines MJC comme celle de Cleunay (l’Antipode).

Que pensez vous de l’état du rock actuel en France?

Eosine: La musique et le style mis en avant c’est quand même de la resucée des années 70. Côté fille, la chanteuse française se doit d’être une princesse-fée amoureuse. Pas beaucoup de place pour des univers personnels avec des qualités et des défauts dont n’a pas l’habitude le public. A moins de le chercher ailleurs, le rock dans les médias français se rapproche plus de la chanson française, du festif et de la tendance fusion/néo-métal qui personnellement ne me touche pas beaucoup.

Thomas: Il y a vraiment deux univers. Les groupes qui sont bien diffusés, en général c’est pas super original ni très subversif. Et les groupes qui tournent à fond, qui galèrent plus
ou moins, qui ne vivent pas de leur musique, ou très mal.

Mikaël: Pour moi les meilleurs groupes Français actuellement en France étaient déjà de très bons groupes à la fin des années 90 (Mass Hystéria, No one is Innocent, Punish Yourself, Lofofora), donc pas grand chose de neuf sur les bandes FM (je ne reviendrai pas sur les groupes à mèches). Par contre, je trouve que l’on croise souvent des groupes pas ou peu connus qui gagneraient à l’être. Donc NON le rock n’est pas mort en France, il se repose !

Y a-il des groupes français que vous aimez, que vous écoutez?

Thomas: j’apprécie des groupes comme les Thugs, Kill The Thrill, Punish Yourself. Un peu de Frustration aussi. Sin, surtout le premier album. Je viens de choper l’anthologie des Tétines Noires.

Eosine: eh bien je suis restée sur des « vieux » groupes! J’adore Kat onoma avec ses cuivres et son étrangeté, j’ai beaucoup écouté Eiffel et son « Abricotine ». Aujourd’hui j’avoue que je n’écoute pas de nouveaux groupes français. Phoenix fait du trés bon boulot dans son genre. Punish Yourself a du son et un visuel qui décrasse. Frustration assure aussi, tout comme The Undergound Railroad!!

Mikaël: Mass Hysteria, Lofofora, No one is Innocent, Punish Yourself, Prohom, Freadom for King Kong, Shaka Ponk…

On peut aussi élargir la question à l’international?

Thomas: En ce moment, j’écoute pas mal de Skinny Puppy, The Young Gods aussi.

Eosine: On a déjà cité pas mal de groupes qui nous touchent. Bien sûr Killing Joke, Nine Inch Nails mais il y a aussi Prodigy (album Outnumbered never outgunned), Radiohead…ect.

Mikaël: Korn, Deftones, RATM, Metallica, Incubus, Red Hot…

Et sinon, qu’est-ce qui vous branche dans le rock actuel?

Thomas: j’aime bien les trucs à la Queens of The Stone Age, toute cette scène stoner, qui est assez proche de la scène dite « grunge ». Mais je trouve que le rock actuel, c’est le rock de papa, à la sauce Beatles, qui casse pas trois pattes à un canard. Le rock actuel, celui qui est diffusé en tout cas, est bien fade. Je trouvais l’ère du « grunge » bien plus intéressante, les artistes n’étaient pas lisses.


Eosine: Ce qui est assez agréable c’est de retrouver des sensations des années 80-90, avec par exemple des sons à la The Horrors ou She wants revenge. ça ne révolutionne pas la musique mais je suis plus attirés par ces groupes qui rappellent par exemple The cure ou Bauhaus.

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